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  • Photo du rédacteurHéléna Lami

“Je veux être un projecteur”

Dernière mise à jour : 14 août


Je vais vous raconter un morceau d'histoire de Nicolas.


Avant cela, je vais vous présenter ce nouveau projet.

En effet, je vais publier des récits de vie en complément des articles.



Qu'est-ce donc ? Le récit de vie ou histoire de vie est un outil utilisé en sciences humaines : en histoire, ethnologie, sociologie, psychanalyse et philosophie.


Le principe est simple : je rencontre une personne, une connaissance ou non, et je questionne cette dernière.

Au fil de la discussion, le récit prend des directions différentes et la personne est libre de dire ce qu’elle souhaite. J’oriente les questions et la personne m’emmène sur le chemin souhaité.

J’écoute, j'observe alors la personne et je prends des notes.





Un récit de vie est un symbole pour le narrateur qui conte un bout de son histoire ou un résumé de son parcours.

Cela peut être un récit dans un contexte donné qu'il soit professionnel ou personnel.


Les récits de vie permettent de :

  • transmettre un message,

  • de mettre de l’ordre dans ses événements de vie,

  • de donner du sens,

  • de livrer une partie de soi,

  • d’identifier sa place,

  • de construire son identité,

  • et de se comprendre les rôles adoptés.


Symboliquement, le récit de vie est une sorte d’identité narrative grâce à la verbalisation de son histoire à un interlocuteur.



Identité narrative : est la capacité pour une personne de mettre en récit les événements de son existence avec concordance.

Je n’ai pas la prétention de réaliser une analyse psychologique. Toutefois, la personne peut s’en saisir pour travailler sur elle, évoluer et créer des déclics.

Mes intentions sont bienveillantes et empathiques.


L’idée n'est pas de juger du bien ou du mal, du vrai ou du faux. C’est simplement de tenter de comprendre le monde de l’autre avec ses lunettes.



  • Pourquoi ce projet ?

J’aime écouter et questionner les personnes, plus qu’une qualité, c’est aussi un besoin.

Lors de mes discussions, je suis toujours épatée et fascinée par le parcours de mes interlocuteurs.

Je trouve les récits inspirants, qu’ils soient complexes, sombres ou encourageants.


Et je garde en tête que l’autre a toujours quelque chose à m’apprendre.


J’aime valoriser ces parcours de vie qui je pense peuvent être des modèles et des inspirations.


  • Pourquoi lire les récits de vie ?

Il existe beaucoup de récits de personnes connues ou médiatisées, souvent considérées comme des symboles de réussite. Or, le plus commun des mortels a des choses à raconter.


N’est-ce pas aussi une belle façon de laisser sa trace dans ce monde pour ne jamais être oublié ?

C’est aussi une façon d’apprendre des autres, d’élargir son champ de vision et aussi de développer son intelligence émotionnelle et relationnelle.



Une instruction importante pour vous, lecteurs !

Tentez de ne pas juger ou interpréter selon vos filtres, essayez de mettre les lunettes de notre narrateur pour comprendre peut-être une autre réalité.



 

Je vous laisse à présent découvrir l'histoire de Nicolas.



Nicolas est né à La Réunion.

Il me raconte alors l'éducation d’une mère, présente à sa façon et veillant à ce qu’il ne manque de rien. Il me dit avoir été gâté matériellement. “J'avais toujours tout ce que je voulais, comme de nouveaux vêtements”. Il fut chouchouté par sa famille, les “femmes de sa vie” palliant à l’abandon d’un père. Il ajoute que “ma marraine m’a beaucoup sauvé dans ma vie”.


C’est un élève studieux.

C'est “facile” pour lui. Ses enseignants lui découvrent de véritables talents intellectuels. Nicolas enchaîne les bonnes notes. C’est le “syndrome du bon élève” me dit-il. C’est le souci d’être apprécié, reconnu et dépendant du jugement d’autrui. Cette pression des résultats, ce besoin d’excellence et de perfectionnisme est propre aux personnes touchées par ce syndrome. On attend alors beaucoup d’eux.


Et les conséquences ne sont pas qu'individuelles mais elles sont aussi relationnelles. L’image du bon élève peut entraîner les premières étiquettes de l’"intello" et les premières moqueries. Et ce n’est que le début d’une éprouvante scolarité pour Nicolas, vivant la douloureuse expérience du harcèlement scolaire.



Durant son adolescence, il va alors être considéré d’”homosexuel” car trop proche des femmes. Je vous passe les insultes en tous genres. Il n’a rien contre l’homosexualité, bien au contraire. Il exprime simplement la difficulté pour un jeune garçon de ne pas correspondre aux critères de virilité et la difficulté de se voir imposer une fausse préférence sexuelle. Sa proximité avec les jeunes femmes va même entraîner de la jalousie de la part des autres garçons car “je traînais qu'avec des filles”.


La période adolescente est cruciale dans le développement psychologique d'un être humain. Pour les garçons, vient l’heure de la masculinité toxique : sois fort, sois viril, sois dur, etc.


Nicolas se retrouve confronté à son image. Un homme jugé trop efféminé et non-conformiste, subit le harcèlement.


C’est son image d’homme qui est touchée, sa dignité et son intégrité. Il commence à mettre un masque, un mode “con” me dit-il.

Il se protège comme il peut en jouant un personnage imbuvable et fuyant les autres.


C’est alors une période sombre au lycée. Il se rebelle et rompt l'image du parfait élève. Il vit les premières trahisons et mesquineries de cette période. Il vit et subit les rapports de forces propres aux garçons de son âge.

D’un point de vue sociologique et ethnologique, on considère ces rapports de forces comme une sorte de rite de passage, archaïque certes, mais attestant la virilité d’un homme. Bomber le torse, intimider et confronter l’autre n’est rien d'autre qu’une opposition de pouvoirs et de forces. Nicolas se retrouve confronté à un rapport conflictuel toxique et primaire, comme beaucoup d’autres jeunes hommes.


Il sombre peu à peu dans les addictions, entre drogues et alcools, comme un pansement à son mal-être, son sentiment d’être mal né.


Il se fait du mal pour fuir les autres et se fuir lui-même, fuir son image tant détestée. Il est d’autant plus jalousé des autres garçons car il intéresse les filles.

Nicolas adopte le rôle du confident, cet ami qui écoute avec empathie. Il se détourne de l'obligation sociale de robustesse et de l’utilisation de la violence chez les garçons.


Et alors que le harcèlement se poursuivait au point de le faire sombrer, nourrissant des idées des plus macabres, il parvient à se faire respecter lors d’un duel avec un autre jeune homme.

Ce n’est pas un jeu d'alcool mais un combat d’alcool.

Les deux adversaires s’affrontent par l'absorption d'alcool fort. Le gagnant est le dernier buveur et le vainqueur doit rester debout tandis que l’autre abandonne.


Nicolas ne trouve pas d’autres solutions pour s’imposer, c’est alors sa seule issue. Il en sort vainqueur. Il impressionne tout le monde et se fait enfin respecter.


C’est son unique façon de montrer sa force et sa légitimité même s’il m'explique que cela cache un grand désespoir. Car derrière cet acte, se cache la détresse et la destruction psychologique et physique d’un jeune homme. L'alcool ne répond pas à un besoin festif ou de liberté mais devient ici un moyen de se faire du mal, de se nuire et de vouloir se détruire.



Nicolas me parle toutefois de cette bulle d'oxygène. La rencontre et la relation inespérée avec son meilleur ami, dont il est si reconnaissant. Il me parle de cet ami qui l’a aidé, accueilli et aimé malgré l'apparence qu’il se donnait.

Son masque était celui d’un jeune homme méprisant et prétentieux me dit Nicolas.

Même en le rejetant, cet ami est venu vers lui, s’est montré fidèle et a su croire en lui. “C'est un pilier”. C’était inespéré me dit-il.


Et il ajoute ne pas comprendre pourquoi cet élan d’amour.

Malheureusement, le contact a été rompu lorsque cet ami devenu jeune homme, a rencontré une femme, lui privant de sa liberté selon Nicolas. Un incident fréquent en amitié pour beaucoup mais douloureux laissant un sentiment d'amertume, de rejet et de trahison.


Malgré sa décadence, Nicolas réussit à valider son Bac tant bien que mal. Cela confirme ses facultés intellectuelles et il réalise son haut potentiel intellectuel. Toutefois, il me dit avec regret “qu’il aurait pu faire de grandes études”. Les attentes vis-à-vis de lui étaient très élevées.


Je note qu’il a tout de même été sur les bancs de l’université. Il me parle de sa rencontre marquante avec sa conseillère Pôle emploi. Elle l’inspire et elle l’aide.

Nicolas s’oriente alors vers la formation de Conseiller en Insertion Sociale et Professionnelle. C’est là que débute une nouvelle aventure…



 


“On ne fait pas ce métier par hasard”.

Il pense que ce choix est lié à son parcours : “Toute ma vie a été formatée à recueillir la parole”.


Nicolas découvre une passion : accompagner les jeunes, c’est “quelque chose où je ne suis pas mauvais” me dit-il avec humilité.

Mais son travail devient aussi une “passion” et un “besoin” d’aider ces jeunes.

Il me dit aimer créer de nouveaux partenariats et gérer de nouveaux projets. Le sens de tout cela ? Les jeunes qui ont envie d'être entendus.

C’est le public qui m’a choisi.” Il prend sa mission très à cœur : les valoriser, s’investir pour leur réussite et croire en eux.


Conseiller de l’ombre, “je veux être un projecteur” me dit-il, permettant à ces jeunes de briller sur le devant de la scène.

Le temps accordé à ses accompagnements lui paraît légitime pour le bien de ses jeunes.



Ce sont eux qui dictent sa passion. Il se donne à 100 %.


Nicolas entretient une relation de confiance avec eux. Il se sent “presque” utile.

Il ne peut s’empêcher de remettre en question sa pratique car il reste un grand perfectionniste. Il a besoin de s’instruire, d’apprendre et d'échanger sur son accompagnement pour être au plus juste.



 

“Je vis pour mon travail, mon travail est au cœur de tout.”



Il m’explique même les conflits résultant de cet investissement avec son ancienne compagne. Elle questionne cette obsession du travail et il exprime alors son besoin d’investissement.


Nicolas vit aussi cette incompréhension auprès de ses collègues. Il reconnaît avoir une “étiquette” de bourreau du travail ne comptant pas ses heures.

Il subit aussi l’image du “prétentieux”. Il me parle du regard des autres sur lui, sur son identité professionnelle. Considéré comme exigeant, il m’explique l’être tout autant si ce n’est même plus avec lui-même. Il met la barre haute car il veut et il sait que les personnes peuvent se surpasser.


Nicolas se retrouve enfermé dans un rôle, dans sa casquette “professionnelle” mais si chère à ses yeux. Il n’ose pas vraiment être lui-même. Il adorait que les gens le voient tel qu’il est, vraiment, de cœur à cœur. Il aimerait tant lâcher le masque.

Il souhaiterait exprimer ses besoins sans blesser l’équipe. Il termine : “Je ne m’interdis pas de livrer une partie de moi.


Pourquoi se donne-t-il une si grande exigence ? Le fil conducteur : pour les jeunes. C’est ce besoin profond d’aider et de faire le mieux possible qui le motive, l’anime, le stimule, l'enthousiasme et le détermine.


Nicolas vit toutefois une souffrance que beaucoup de professionnels vivent dans leur quotidien professionnel. Le manque de reconnaissance.


Car oui ! Il assume son grand besoin d’être reconnu, peut-être est-ce la résultante de son syndrome du bon élève ?


J’entends alors le témoignage d'un salarié qui se dépasse à 100 %, qui s’investit énormément relevant des défis et contribuant à de nouveaux projets. Fort de sa réactivité et de sa disponibilité, il répond aux questions et demandes de ses collaborateurs.


Il m’exprime sans besoin de reconnaissance et de légitimité de la part des autres.



 


“C’est beaucoup de travail pour peu de reconnaissance.”



Il soulève ici une question intéressante : la compatibilité entre passion et reconnaissance. Passionné par son travail, Nicolas a aussi besoin d’être reconnu et valorisé.


Pour l'anecdote, je questionne Nicolas sur d’autres sphères que le travail et je remarque qu’il y revient tout naturellement, preuve de son dévouement instinctif. Je le questionne notamment sur ce besoin de reconnaissance et de validité de la part des autres : D'où vient il ? Est-ce lié à une histoire de vie ponctuée d'événements traumatisants ?


Et je poursuis mon cheminement plus globalement :

Et si la reconnaissance et la légitimité devaient avant tout venir de soi pour exister ? Et si c’était déjà à nous-mêmes de nous l’accorder avant de l’attendre des autres ? Et quand bien même, pourquoi est-ce si important et légitime d’être reconnu et validé par les autres ?


 

Là est la difficulté pour Nicolas.


Car son histoire “reste gravée en moi à jamais” me dit-il.

Il m'explique avoir vu des psychologues mais il ne se sent pas de dépasser ça. “On m’a déjà donné des explications durant mes analyses mais je ne veux pas”.


Derrière le masque social, je découvre dans son récit un homme proche du petit garçon et de l’adolescent du début de ce récit. J’entends une profonde détestation de soi et un rapport au corps compliqué.

Il poursuit avec des propos durs mais d’une sincère vulnérabilité en se qualifiant de “merde”. Derrière l’image donnée, il y a là un homme “exigeant” qui se sous-estime et se dévalorise.


Je tente spontanément et peut-être à tort de relativiser en lui proposant de se reconstruire une belle identité et de tomber en amour de lui.


Il me répond légitimement : “je préfère être une merde que de partir de rien, que de n’être rien, de tout reconstruire”. Le rien ou le vide lui fait peur. Au moins, il a une identité même si celle- ci est obscure.

Nicolas se pense être “une personne profondément mauvaise” et ne pense pas pouvoir changer.


Un récit de vie n’a pas pour objectif de donner mon avis subjectif ou de juger les propos. Je les accueille et je les retranscris. Mais je ne peux m'empêcher de vous livrer un message : j’aimerais que l’homme en face de moi se voit comme je le vois, avec plus de douceur et d’admiration…


 

“L’amour est conditionnel”



Toutefois, sa croyance est qu’il n'est pas une belle personne. Comme beaucoup me direz-vous, preuve de son humanité…


Nicolas m’explique aussi son rôle dans ses relations sentimentales.

Il m’explique avoir été manipulateur et “j’en ai profité”. Nicolas m'explique ses relations toxiques avec les femmes notamment une ex copine qu’il n’a pas bien traité.

Il me répète : “Je ne suis pas une bonne personne“.


Et pour autant, il se livre avec une extrême sensibilité sur sa relation avec cette autre femme, cette fameuse femme.

Vous savez ? Il y a ces personnes dont on tombe éperdument amoureux et qui nous marquent pour toujours. Et bien, c’est le cas pour Nicolas. Il me parle de l’amour véritable qu’il a vécu avec cette femme “magnifique” et “incroyable”.



 


“Je ne pourrai jamais aimer autant”



Il m’explique qu’elle était trop bien pour lui. Il ressentait un sentiment d'infériorité, comme si c’était trop beau et trop étrange. Il s’est persuadé qu’elle réaliserait un jour qu'il n'était pas à la hauteur.

En attendant ces mots durs, j’entends aussi un profond désamour de soi.


Cette même femme rêvait d’un “aventurier”, une sorte de vadrouilleur et de randonneur. Nicolas m’explique le sentiment d’être tout le contraire, lui renvoyant à nouveau une image dégradée de lui-même. Il ne se sent pas à la hauteur de la représentation de “l’homme” souhaité par cette femme, réveillant alors un vieux complexe.


Je lui ai quand même posé la question : Est-ce cela l’amour ? Est-ce de l’amour véritable quand on se sent imposteur et inférieur dans une relation ? Est-ce le véritable amour quand l'autre convoite une autre image que nous ne pourrons jamais être ?


Il me chante les louanges de cette femme. Il est persuadé que le problème vient de lui.

Il a ce besoin d’être reconnu par cet amour, qu’il estime tant, lui renvoyant à son infériorité.



 

Voici l’histoire de Nicolas.



Un homme passionné par son travail, passionné tout court et vivant intensément ses émotions. Un homme face à une image dégradée de lui-même devant affronter ses démons.


Pour autant, une mauvaise personne serait capable d’aimer ? Est-ce que nos erreurs passées nous définissent ?

Et si le sentiment d'abandon, de rejet et le manque de reconnaissance aux yeux des autres pouvaient dégrader à vie une personne.


Et si par son métier, Nicolas voulait éviter que les jeunes se sentent comme lui. Et si c’était une façon d’offrir la chance à ces jeunes de se dépasser et de croire en eux ?


“Je veux être un projecteur” pour ces jeunes.


Dans cette histoire, Nicolas s’est confié à cœur ouvert et avec vulnérabilité, avec assurance et sérieux.


Merci à lui pour ce témoignage.



 

Héléna Lami

Publié le 29 juin 2023

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